DE QUOI DEMAIN
Musiciens, écrivains, artistes du monde du théâtre, mais aussi universitaires et chercheurs du domaine culturel, nous souhaitons contribuer à un dialogue politique dans le champ qui est le nôtre, dialogue dont les dernières actualités montrent qu’il est à la fois urgent et possible. Humanistes, républicains, démocrates, universalistes, attachés à la laïcité, farouchement opposés à l’extrême-droite, nous luttons, chacun à notre manière, pour la justice sociale, pour l’égalité hommes-femmes, contre le racisme et l’antisémitisme, contre ’homophobie, pour la liberté d’expression.
Nous constatons que les principes de liberté, d’égalité, de fraternité restent imparfaitement réalisés, que la lutte contre les déterminismes sociaux et culturels et les divers mécanismes de discrimination est encore et toujours d’actualité. Nous choisissons pourtant de réaffirmer ces principes, et proposons, en créant l’association DE QUOI DEMAIN, un lieu où soutenir et penser ce qui, aujourd’hui, dans le vaste champ de la culture et de la création, esquisse d’ores et déjà un nouvel imaginaire républicain projectif et universaliste.
Depuis quelques années, hélas, dans cette guerre juste pour plus d’égalité, nous voyons apparaître des formes de lutte caricaturales, aussi minoritaires que bruyantes, menées par des groupes prompts à s’autoproclamer unique avant-garde et camp du Bien. Dans les domaines qui sont les nôtres, cette nouvelle police culturelle prétend tout régenter à partir de critères identitaires, de genre, d’ethnie, d’orientation sexuelle, d’indice de masse corporelle (liste inépuisable), au détriment des ambitions artistiques, de création, d’expérimentation. Leurs méthodes pour parvenir à un idéal que nous partageons tous, nous semblent aller à l’encontre du but recherché. Nous voyons ainsi certains de ces groupes, au nom de la justice sociale, aller jusqu’à faire la promotion d’un islamisme agressif qui menace dans ses fondements la culture des Lumières. Nous déplorons que tous ceux qui, comme nous, s’interrogent sur leur pertinence soient immédiatement assimilés par eux à des réactionnaires, voire à la « fachosphère ». Nous refusons tout autant de nous laisser intimider par ces insultes faciles que de laisser à l’extrême-droite le monopole de leur critique.
Nous croyons, nous, que chaque homme, chaque femme est multiple, et qu’on aurait tort d’assigner et limiter quiconque à une identité quelle qu’elle soit, que le faire relève plus du mépris que de l’altruisme militant.
Si, en effet, aujourd’hui, du fait de leur couleur de peau, des comédiens ne sont pas distribués dans tous les rôles qu’ils pourraient jouer, faudrait-il désormais, pour combattre cet état de fait, privilégier dans les processus de sélection le critère de la pigmentation ? Cette injonction absurde nous paraît raciste. Tout aussi raciste nous semble l’assignation d’un rôle (d’un texte) à l’interprète (au traducteur) le plus apparemment proche de lui. Un comédien juif ne pourrait-il plus jouer que le rôle d’un juif ? Une comédienne cisgenre ne pourrait-elle incarner de personnage transgenre ? Chacun devrait-il rester dans sa propre peau ?
Nous croyons au pluralisme dans les formations et les instances culturelles. Nous croyons à une vraie culture de la rencontre et à la diversité des expressions artistiques (souvent masquée par la
diversité comptable). Nous croyons aux valeurs républicaines et démocratiques, à l’intérêt général et à la redistribution de la culture
et des savoirs. Nous croyons en l’importance de l’école, savante et laïque, en l’importance de l’université et de la recherche, que nous
refusons de voir se déliter elles aussi. Nous croyons à l’égal accès aux œuvres, aux enjeux de l’éducation populaire – le nerf de cette guerre – à réactualiser. Nous croyons à l’expérimentation. Nous croyons à l’humour, à l’absurde, à la caricature. Nous croyons à une création libre des polarisations identitaires et idéologiques engendrées par la logique du marché. Nous croyons aux œuvres ouvertes, qui laissent le public se faire sa propre interprétation. Nous croyons à une diversité universaliste qui récuse toute sélection prenant appui sur des critères anticonstitutionnels tels que l’orientation sexuelle, la « race », la religion, refusant de réduire la singularité des personnes à une exhibition de leur visibilité.
Nous parions que de nombreuses personnes, de toutes générations, sans représentation politique et détestant que l’on parle à leur place, partagent notre diagnostic, notre inquiétude et notre volonté d’action.
Abraham Bengio, ancien DRAC
Marc Hajjar, chef d’orchestre
Marie-Madeleine Mervant-Roux, chercheuse en études théâtrales (CNRS)
Alexis Morel, auteur compositeur
Béatrice Picon-Vallin, chercheuse en études théâtrales (CNRS)